Homélie pour Alfie Evans, prononcée le dimanche 29 avril à Grenade.
Mes biens chers frères,
Aujourd’hui, une fois n’est pas coutume, je ne commenterai pas l’évangile. Il est très beau, et aussi si limpide que vous en tirerez toute la saveur en le relisant, et surtout, en le méditant.
Non aujourd’hui, je voudrais vous parler d’un fait d’actualité, parce que la vie chrétienne ne consiste pas à réciter des Pater et des Ave en restant indifférents à la marche du monde. Et si je m’apprête à vous parler de sujets qui fâchent, ce n’est que pour redire la conviction profonde de l’Eglise : que la vie est un don précieux de Dieu, que la vie est sacrée.
Je voudrais donc vous parler du petit Alfie Evans, ce petit anglais qui n’avait pas deux ans, qui est mort samedi à deux heures et demie du matin.
Alfie avait une maladie qui avait gravement endommagé son cerveau, et il était à l’hôpital depuis qu’il avait huit mois. Quelle était cette maladie ? Une maladie rare, pas précisément diagnostiquée par les médecins, pour laquelle l’hôpital de Liverpool ne connaissait aucun traitement capable de le guérir. Alfie était relié à un respirateur, et recevait de la nourriture par sonde.
En décembre dernier, l’hôpital a fait part à ses parents de leur volonté de débrancher Alfie. Cela revenait pour lui à mourir d’asphyxie, de soif et de faim. Ses parents s’y sont opposés, mais l’hôpital a menacé de les déchoir de leurs droits parentaux. L’affaire est allée devant la justice anglaise. Commença alors un long et douloureux combat judiciaire.
Le juge qui a eu à traiter de l’affaire a eu des mots très durs. Il a reproché à son père de s’être « entiché » de son petit garçon, et de « se laisser aller à de ridicules sottises émotives ». Pour lui, le cerveau d’Alfie était trop abîmé, il ne pourrait jamais communiquer comme tout le monde, de telle sorte que sa vie était « futile » ! Futile, a-t-il dit ! Pardonnez-moi cette noire ironie, mais il est douloureux d’entendre un juge récemment anobli par la reine, qui porte perruque poudrée et souliers vernis, qui boit son thé dans son club le petit doigt en l’air, parler de vie futile en parlant d’un enfant handicapé que ses parents entourent de tendresse et de larmes. Bref, le juge a estimé que la vie d’Alfie ne valait pas la peine d’être vécue, et que la mort était – je le cite toujours – « le meilleur intérêt de l’enfant ». Le juge a décidé : l’enfant devait mourir !
La souffrance d’Alfie et de ses parents a fini par faire le tour du monde. Le pape François lui-même s’en est ému. Il a proposé d’accueillir Alfie dans l’hôpital du Bambino Gesu, dépendant du Vatican : là on diagnostiquerait précisément la maladie, on essaierait un traitement, et si cela ne marchait pas, l’enfant recevrait au moins des soins palliatifs dignes de ce nom. Pour les parents d’Alfie, c’était un espoir, l’espoir d’une guérison possible, même si l’enfant garderait des séquelles : ils étaient prêts à l’aimer dans sa fragilité. L’espoir aussi, en cas d’échec des traitements, d’une mort naturelle, non la mort voulue, décidée et programmée par l’hôpital et le juge. Je le redis, pour les parents c’était un espoir. Peut-être se souvenaient-ils de cet autre petit anglais, Ashya King, atteint d’une tumeur au cerveau, que les médecins anglais avaient déclaré incurable, et qui avaient interdit aux parents de l’emmener dans un autre hôpital. Ses parents ont enlevé leur enfant, l’ont conduit jusqu’à Prague où il a reçu un traitement qui l’a guéri.
L’Italie, dans un geste magnifique, a donné la nationalité à Alfie, et apprêté un avion spécial pour que le transport soit le plus bref possible, et qu’Alfie ne souffre pas du voyage. Tout était prêt. La directrice de l’hôpital romain s’était même déplacée jusqu’à Liverpool, pour rencontrer l’équipe médicale. Mais celle-ci a refusé de la recevoir. Par décision médicale, par décision de justice, Alfie devait mourir, et mourir dans cet hôpital.
La chambre de petit garçon a été gardée par 6 policiers. On a menacé les parents de leur interdire de voir leur enfant s’ils ne consentaient pas à sa mort programmée. A ceux qui s’indignaient sur les réseaux sociaux, la police locale a envoyé un message intimidant, rappelant que toute parole était surveillée, et menaçant de poursuites.
Lundi, Alfie a été débranché. Les médecins pensaient qu’il n’en avait que pour quelques minutes, quelques heures tout au plus. Mais au bout de neuf heures, il respirait encore. On a du rebrancher son respirateur : Alfie était bien moins mourant que ce que pensaient les médecins.
De nouveau, les parents d’Alfie ont demandé au juge de pouvoir emmener leur enfant en Italie. Nouveau refus. La Cour européenne des droits de l’homme a estimée de son côté que l’Etat britannique était tout à fait fondé à décider la mort de cet enfant contre l’avis de ses parents. Etrange conception des droits de l’homme, que celle qui n’inclue pas le droit de vivre !
Alfie est donc mort dans la nuit de vendredi à samedi. Le monde entier a témoigné de son émotion. Le pape s’est dit profondément touché, a exprimé ses soutiens aux parents, se disant certain que maintenant, Dieu serrait Alfie dans ses bras.
Mes biens chers frères, on a beaucoup dénoncé l’acharnement thérapeutique, le fait de prodiguer des soins à un malade alors que cela cause des souffrances sans véritable amélioration de son état de santé. Mais il me semble qu’à côté de cet acharnement thérapeutique, il existe aussi un acharnement thanatologique, un acharnement « euthanasique », bref, un acharnement à faire mourir. Des hommes, des femmes, parfois des enfants sont pris en otage d’une idéologie morbide, au nom d’une fausse compassion. Il y a ce petit Alfie bien sur, mais on pourrait penser à Charlie Gard ou à Vincent Lambert.
Ce qui est terrible, c’est que dans ces situations, l’espoir est refusé, interdit par décret médical ou judiciaire. Alfie avait peut-être une chance se faire soigner en allant en Italie : elle lui a été refusée. Vincent Lambert aurait peut-être une chance d’avoir une vie meilleure en recevant des soins de kinésithérapie : ils lui sont refusés. Il est clair que les artisans de ces décisions sont convaincus qu’une vie diminuée n’est plus digne et qu’elle doit cesser, et vite.
Ce qui est terrible encore, c’est que les droits des parents sont constamment bafoués. Les parents d’Alfie ont été traités avec mépris et violence par les médecins, les juges, la police. On leur a refusé le droit de prendre la décision ultime. Je comprends très bien que la justice se substitue aux parents quand ceux-ci refusent de donner un traitement utile à leur enfant – comme des parents qui refuseraient une transfusion sanguine qui pourrait pourtant sauver leur enfant. Mais quand la seule chose que proposent – ou plutôt imposent – les médecins, c’est la mort… quand les parents, eux, veulent la vie, ne faut-il pas les entendre ? J’en appelle à toutes les mères : s’il vous restait une chance, même infime, de sauver votre enfant, accepteriez-vous que l’Etat vous prive de cet espoir ? N’y a-t-il pas dans cette histoire une inhumanité profonde ?
Ce qui se profile c’est un nouveau totalitarisme, où nos corps, et ceux de nos enfants appartiendront à l’Etat, qui pourra décider ou non, contre l’avis de la famille la plus proche, de faire mourir. Et c’est cela le propre des Etats totalitaires : l’homme y est la propriété de l’Etat. C’était le cas en 1940, quand des milliers de malades et d’handicapés mentaux ont été gazés, par décision des juges et des médecins nazis. Aujourd’hui, où l’on parle beaucoup de devoir de mémoire, on ferait bien se s’en souvenir. Soulignons aussi ce paradoxe : dans tous les pays civilisés, et c’est heureux, les juges n’ont plus le pouvoir de condamner un criminel à mort. Serait-ce pour qu’à présent des juges puissent décider qu’un innocent doit mourir ?
Mes frères, répondez-moi sincèrement. Les parents d’Alfie sont de modestes ouvriers. Mais pensez-vous que si le petit Louis, le royal baby fils de William et de Louis, était atteint du même mal qu’Alfie, des médecins et des juges empêcheraient leurs parents de partir à l’étranger le soigner ? A ce couple royal, ne laisserait-on pas le choix ? Leur imposerait-on la mort de la chair de leur chair ? Les priverait-on de tout espoir ? Non bien sur. Mais voyez à quoi mène l’éthique libérale : on nous promet la liberté absolue, mais dans le fond, celle-ci est réservée aux puissants et aux riches, tandis que les pauvres, les petits et les humbles sont méprisés, et privés de leur liberté de choix. Ainsi quand l’Eglise défend la vie, elle ne le fait pas d’abord pour défendre de grands principes abstraits, mais pour défendre des personnes, particulièrement celles qui sont le plus vulnérables, ceux qui ne comptent pas pour le monde.
Mes biens chers frères, il nous faut être présent auprès de ceux qui vont mourir, de ceux qui sont fragiles, et dont la vie ne cesse d’être digne et précieuse. Puissions-nous être pour chaque homme, même le plus abîmé, le plus diminué, des témoins de la tendresse de Dieu.
Amen
Abbé François de Larboust